Le Sangria pour Bateaux
Jacques Monsault a essayé le Sangria à l’époque de sa sortie et livre ici
ses impressions dans un article paru dans un numéro de la revue « Bateaux »
Avec le Storm, la première expérience des chantiers Jeanneau dans le domaine des voiliers de croisière, ne s’était pas soldée par la réussite escomptée. Il faut reconnaître qu’en dépit de sa carène due à un architecte renommé, le Storm ne tenait pas compte de la part que tout acheteur de bateau fait à ses rêves. Trahir « l’image » du voilier a conduit de nombreux constructeurs à des déceptions. Avec leur nouveau modèle, le Sangria, qui, comme son nom l’indique, sort de la cave de Philippe Harlé, les chantiers des Herbiers ont, cette fois, respecté cette motivation et nous présentent un bateau très classique, selon les canons actuels bien entendu. Concilier rapidité et habitabilité n’effraie plus les architectes navals modernes auxquels les nouveaux matériaux et les nouvelles techniques ont rapporté des solutions pour accorder des données contradictoires. Dans le cas du Sangria, Philippe Harlé a dû, pour respecter la politique commerciale des chantiers Jeanneau qui proposent généralement les bateaux les meilleurs marchés dans leur catégorie, rechercher l’économie aussi bien au stade de la conception qu’à celui de l’exécution. Il faut bien avouer qu’au premier contact cette recherche systématique n’est pas évidente et qu’on est plus frappé par la simplicité des solutions techniques que par leur faible coût.
CONCEPTION
Pour faciliter le moulage, frégatage et pente inversée du tableau ont été réduits au maximum. Par ailleurs, contrairement à la tendance générale, la coque et le pont ne reçoivent aucun contremoulage intérieur, la rigidité étant apportée par les meubles et les cloisons en contre-plaqué marine scellés à la coque. L’habillage intérieur est assuré par des vaigrages en tissu plastique ou en contre-plaqué verni.
Naturellement, Sangria fait partie des déplacements légers avec une étrave agressive, une faible surface mouillée, un franc-bord généreux, un maître-bau important placé au niveau du point d’écoute de génois. La carène paraît très « ronde » et pourtant assez sophistiquée.
L’arrière présente sous le cockpit un renflement sensible destiné vraisemblablement à augmenter la portance à ce niveau. Ce volume se raccorde au tableau par une coulée concave. Le lest est constitué par un bulbe profilé assez long pour permettre l’échouage et supporté par un aileron à bords parallèles inclinés de 30 degrés par rapport à la verticale. La partie supérieure de cet aileron vient s’emboîter, sans retour de galbord, dans un logement moulé en creux dans la coque où elle est fixée par des boulons de bonne dimension.
Suivant que le bateau est destiné à être équipé d’un moteur hors bord ou d’un moteur fixe, le safran est différent. Dans le premier cas, il est précédé d’un aileron sur tout son bord d’attaque. Cet aileron moulé se raccorde assez près de la quille et, en plus du plan de dérive non négligeable qu’il représente, améliore par sa présence le rendement du safran. La version à moteur fixe reçoit un safran compensé entièrement suspendu sur sa mèche. Le bateau d’essai mis à notre disposition par le chantier était du premier type. Point n’est besoin d’essayer le second pour savoir que ce système n’a comme avantage que sont faible prix de revient.
Le pont comme la coque est moulé avec une alternance de tissus roving et de mats de verre. Leur assemblage fait appel à une technique éprouvée du type « boîte à biscuits » dans laquelle un boulonnage vient parfaire le scellement plastique effectué au moment de la jonction. Le liston en aluminium qui habille cette liaison rappelle l’expérience motonautique du constructeur. En plaçant ce liston largement en dessous de l’intersection normale entre le pont et le bordé, l’architecte a obtenu une diminution du franc-bord apparent tout à fait réussie.
Dans le même ordre d’idées, la tonture inversée du pont et son bouge important destinés à augmenter l’habitabilité sont habilement masqués par un fort cale-pieds qui rétablit pour l’œil une tonture normale. Cette option autorise une plage avant entièrement dégagée et un roof moins imposant que sur beaucoup de bateaux de taille et d’habitabilité équivalentes. Dans l’ensemble, la construction du Sangria semble tout à fait sérieuse et l’on pardonnera d’autant moins le montage des grands hublots de roof fixés par un profilé en caoutchouc qui apparaît comme le seul point faible de cette coque.
PONT ET ACCASTILLAGE
Nous nous réjouissons toujours quand nous constatons qu’un bateau de série est équipé dès l’origine pour naviguer. Pour un professionnel, un regard circulaire suffit pour juger de la disposition et de la qualité des équipements de pont. Le Sangria résiste très bien à cet examen. Il y a cependant quelque contradiction entre le soin avec lequel chaque chandelier a été positionné et fixé suivant des angles différents et l’absence de tout conduit de chaîne sur la ferrure d’étrave, d’autant plus que le coffre à mouillage aménagé à l’avant comporte un piton d’étalingure. De même le bateau standard est livré avec un stick et des étuis de poignées de winches, mais sans chaumards arrière. Par contre, les taquets et les winches sont bien dimensionnés et le retour sur le toit du roof de la drisse de spi et de la balancine de tangon rend plus faciles les manœuvres.
Nous avons également apprécié : l’anneau soudé sur le balcon avant et qui permet d’y accrocher le mousqueton de drisse de spi au repos, les feux de position protégés dans le coffre à mouillage, les avale-tout remplaçant les poulies de foc, le panneau de pont Goïot qui gagnerait bien sûr, à être muni de bandes antidérapantes, l’ingénieux système de blocage des couvercles de coffre par un bout et un taquet coinceur accessible uniquement de la cabine, déjà vu sur un bateau de la même taille.
Les taquets en Céloron pour les écoutes de foc et de spi sont curieusement fixés sur la paroi verticale extérieure des hiloires. Si la rapidité de manœuvre n’y gagne rien, barreur et équipiers profitent par contre, dans la brise de la très confortable surface que laisse cette disposition.
Le cockpit bien abrité accueille normalement trois personnes, les reins bien calés grâce au profil des hiloires. Chacune des deux banquettes comprend un couvercle qui livre accès par une large ouverture à deux coffres capables d’absorber aussi bien les voiles qu’un moteur hors bord de 10 chevaux. Le surplus trouvera sa place dans le coqueron arrière lui-même volumineux.
Le gréement dormant offre toutes les possibilités de réglage habituelles : rail d’étarquage de grand-voile, double pataras permettant de raidir l’étai en tirant sur la tête de mât, etc.
Les filoirs et taquets installés sur le toit du roof peuvent servir à ramener dans le cockpit le bout du halebas de bôme et du palan d’étarquage de grand-voile. La bôme métallique, comme le mat, est équipée pour prendre des ris et comporte un réa arrière pour le passage d’un câble de réglage du point d’écoute. La grand-voile s’envergue directement dans le profilé métallique. Les haubans bénéficient d’un double manchonnage Talurit.
Les mains courantes qui font office de glissière de capot n’offrent pas une bonne prise. L’étanchéité de ce grand capot de cabine semble dépendre uniquement de l’ajustage de ces glissières. Etant donné l’absence de cache-capot, nous nous permettons de douter de l’efficacité de ce système avec de la mer. Malgré ces critiques de détail, nous devons avouer que ce n’est pas à l’extérieur que la recherche de l’économie se sent sur le Sangria.
EMMÉNAGEMENTS
L’impression d’austérité dès qu’on descend dans la cabine ressort de la finition générale assez hâtive. L’absence de contremoulage ne serait pas choquante si le tissu qui habille le roof et les bordés était impeccablement posé. De même le panneau de contre-plaqué doublant le toit de la cabine serait d’un meilleur effet si son état de surface et son contour ne révélaient de nombreuses imperfections. Tout cela est d’autant plus dommage que le plan d’aménagement résout de façon très élégante le problème qui consiste à vouloir mettre quatre couchettes, une cuisine, une table à cartes, un W-C et une penderie dons une coque de 5,80 mètres à la flottaison.
Le bloc table à cartes coulisse sur la couchette bâbord, s’escamotant au repos de manière à laisser le carré entièrement dégagé. En navigation la couchette reste toujours utilisable, la table à cartes faisant office de planche à roulis. La cuisine située à tribord à l’entrée constitue un modèle du genre. La position du réchaud, peut-être un peu loin pour un cuisinier de petite taille, le plan de travail moulé se vidant dans un évier profond, le râtelier pour boîtes plastiques donnent envie de cuisiner en mer. L’architecte a même prévu un placard sous cet ensemble pour ranger la batterie de cuisine.
L’équipage d’un bateau de cette taille dépassant rarement cinq personnes, on peut considérer le carré comme suffisant. Les couchettes larges (65 cm) sont, par contre, assez courtes. La couchette bâbord, dont les pieds donnent sur une vaste soute à matériel ou à voiles, sera attribuée en priorité à qui atteint ou dépasse 1,80 mètre. Les équipets servant de dossiers recèlent de vastes possibilités de rangement, et grâce à une fargue sérieuse, le rangement des livrés et des accessoires de navigation ne pose pas de problème. L’allée centrale (66 cm) ne comporte aucune chausse-trappe, la coque étant entièrement masquée par un plancher rectangulaire en contre-plaqué marine recouvert de Nautolex, revêtement plastique imitant bien le bois.
Les deux couchettes du carré servent de couvercle à de grands coffres. La hauteur sous barrots, à savoir 1,80 mètre sous le capot de descente et 1,72 mètre vers l’avant du roof, rend la vie à bord confortable. Le compartiment toilettes aménagé entre le carré et le poste avant dispose de 62 cm de largeur ; mais la penderie-housse en plastique livrée avec le bateau et qui vient se coincer derrière la cuvette, risque d’être arrosée au pied. Un isolement relatif est obtenu par une porte fermant le carré et par un rideau masquant le poste avant.
En passant dans la cabine avant, comment ne pas être frappé par l’impression de volume ? Celle-ci est due au fait qu’à part les coffres sous les couchettes, cette cabine n’a d’autres équipets que deux pochettes en tissu. Les couchettes sont Iargement dimensionnées. Un coussin, livré en série, permet de les réunir.
L’éclairage est fourni par une batterie de 12 volts. Il comprend un lecteur de cartes.
Le moteur BD 1 Couach, proposé en option, se loge avec assez d’aisance sous le cockpit, bien que l’on puisse critiquer l’accès au presse-étoupe. Le volume de la carène permet de penser que la présence de ce moteur influera peu sur les performances, beaucoup moins en tout cas que la modification du safran qu’elle entraîne.
PERFORMANCES ET QUALITÉS NAUTIQUES
Comme tous les bateaux de Philippe Harlé, le Sangria affectionne le petit temps. Comme posé sur l’eau, il progresse alors sans sillage et le barreur ne peut se plaindre du génois à plat-pont qui, s’il lui bouche la vue, ramasse les moindres miettes de vent.
Les nouvelles règles de jauge ont assoupli l’ostracisme contre les grand-voiles et le Sangria, s’il conserve un triangle avant de bonne taille, leur doit certainement une grand-voile plus étoffée. Un des avantages qu’on en tire est la facilité de manœuvre du bateau, que ce soit sous génois ou sous grand-voile seule. Le plan de dérive ramassé contribue à permettre des évolutions spectaculaires, le bateau virant pratiquement dans sa longueur avec une erre très faible.
Dans Cowes-Dinard, couru cette année par faible brise, les Sangria ont montré leurs possibilités en prenant les 2ème et 3ème places en classe VI du GCL. Pendant le dernier bord sous spi de la course, il était amusant de les voir faire jeu égal avec un classe I du RORC qui n’en croyait certainement pas ses yeux. Bien sûr, pour profiter à plein de ses ressources, des voiles légères et très creuses seront nécessaires. Celles fournies en série par le voilier Tasker nous ont paru fort bien adaptées.
Evoluant très facilement, il n’est pourtant pas dénué de stabilité de route et ne demande pas une attention permanente du barreur.
Par sa conception et sa construction, Sangria peut certainement affronter du mauvais temps. A part les hublots de la cabine, l’échantillonnage est correct, les chandeliers rigides. Le cockpit, de volume limité, est muni de deux vidanges largement dimensionnées. Tout au plus peut-on souhaiter deux vraies mains courantes sur le roof et des filières un peu moins plongeantes à l’avant pour faire de la croisière en haute mer. Il faut dire que les bateaux comme le Sangria ont de telles possibilités qu’on est souvent tenté d’en exiger plus qu’il n’est raisonnable. Leur destination normale consiste à être de bons bateaux de vacances. Il ne fait pas de doute que le Sangria répond entièrement à cette vocation. Ce qu’il y a de plus remarquable dans cette réalisation reste la manière dont l’architecte et le constructeur ont réussi à respecter le programme initial. Évidemment, quelques détails peuvent subir des améliorations. Mais quel chantier peut offrir pour le même prix un bateau aussi complet, aussi habitable et aussi rapides ?
Le promoteur écrit à la revue [singlepic id=344 w=220 h=140 float=center]
» Nous avons voulu réunir tous les éléments de confort et de sécurité nécessaires à la croisière familiale et ceci dans un budget raisonnable. Nous avons estimé que hauteur intérieure, largeur de planchers, couchettes de dimensions « terrestres », cabine avant séparée, commodités isolées, cuisine fixe bien située et équipée, rangements nombreux sont indispensables pour qu’une famille normale ou deux couples puissent y séjourner de façon durable et agréable. Sur le pont, les exigences de la sécurité et de l’agrément se rejoignent pour commander un grand cockpit bien protégé et un pont dégagé sans pièges d’accastillage ou de gréement.
Comparativement à ses congénères, et eu égard à sa dotation, Sangria est à un prix très compétitif en raison des techniques et applications industrielles de la Société Jeanneau qui possède l’expérience du polyester et celle de la fabrication en grande série.
Les séries importantes – objectif déjà atteint pour le Sangria – présentent aussi l’avantage lors de la revente de conserver une valeur commerciale de marque qu’entretient un réseau de vente organisé.
Les autres éléments du cahier des charges concernaient les qualités nautiques : sécurité, stabilité, maniabilité d’abord, mais aussi performances car nous voulions un bateau rapide et régulier dans toutes les allures et par tous les temps ; nous voulions aussi qu’il puisse se constituer un palmarès honnête en version standard et aux mains de nos clients.
Pour cela, il ne fallait pas succomber à la tentation de soutenir le renom de la série par quelques « bateaux d’usine » spécialement traités et surclassant systématiquement les bateaux de nos clients comme cela se voit par ailleurs.
Pari difficile ? Pari tenu. Les Sangria que l’on voit disputer agressivement les prix aux plus brillants de leurs congénères sont absolument identiques à la version standard que tout le monde peut acquérir.
En résumé, nous pensons que Sangria concilie les exigences suivantes : sécurité, habitabilité, performances et prix. ».
les Établissements Jeanneau. Un grand merci à Jean-Sébastien pour nous avoir communiquer ces documents.
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article paru dans le mensuel Bateaux de mars 2005 concernant les occasions.